Les secrets du droit

Les secrets du droit

En 2012-2013, j’ai organisé un cycle de conférences dans le cadre du cycle annuel de conférences sur les fonctions contemporaines du droit portant sur le secret en droit. À la suite de ce cycle, un ouvrage a été publié, en 2014, rassemblant les contributions écrites des conférenciers. Vous retrouverez ci-dessous l’introduction de cet ouvrage intitulé Les secrets du droit.

Le secret, du latin secretum, désigne d’abord un «lieu écarté», puis un «ensemble de connaissances réservées à quelques uns»[1]. Le mot s’emploie très tôt «dans le contexte du pouvoir politique». Il désigne rapidement ce qui relève de ce qui est intime, réservé, de la vie privée pour employer un terme contemporain. Dès le XIVe siècle, il devient usuel dans la sphère politique pour représenter les mystères de l’État, ses secrets (arcana imperii); ces aspects obscurs du pouvoir et de son exercice qui doivent être soustraits au regard du citoyen. Il s’agit ainsi d’attribuer une dimension magico-religieuse au prince : son pouvoir théologico-politique ne peut-être contesté car son expression est irréfragable et son origine transcendante. De même, soustraire le pouvoir au regard suppose un cabinet secret où l’action clandestine, inavouée ou dissimulée se justifie au nom d’un intérêt supérieur (raison d’État), aujourd’hui dit «public». Les acceptions du secret ne s’arrêtent pas là. Un passage se dessine aussi des «connaissances réservées» vers la notion de «procédé connu de quelques uns[2]» et on pense alors aux notions de secrets commerciaux ou de fabrication. Le secret désigne alors des manières de faire, de produire, de créer qui recèlent une importante valeur et sont susceptibles d’un enseignement et d’une reproduction.

Le droit fait la part belle au secret dans son dispositif. Malgré le caractère public souvent attribué au champ juridique, que ce soit par un adage comme nul n’est censé ignorer la loi, qui présuppose le caractère public des lois et autres normes juridiques, une pratique comme la nature publique des procès ou, encore, un principe comme celui du libre accès aux documents publics, le secret, ce miroir étonnamment opaque de la transparence[3], tient une part essentielle dans l’articulation et l’équilibration des droits et intérêts concurrents.

Le cycle de conférences 2012-2013 entendait décliner la place du secret dans plusieurs secteurs du droit. Ainsi, du secret des sources du journaliste au secret fiscal offert par les places bancaires, parfois dites «offshore», du secret entourant les activités liées à la sécurité nationale (terrorisme, cyberguerre, etc.) ou au simple exercice du pouvoir politique en passant par une possible redéfinition de la vie privée et de ses secrets dans un monde virtuel qui fait souvent éclater la distinction public/privé ou, encore, du secret sur lequel reposent des marchés financiers transnationaux au secret entourant certains types de documents gouvernementaux, le droit est traversé par des impératifs secrets. Quelles sont les justifications du secret? Sont-elles appelées à évoluer au regard des exigences posées par les droits fondamentaux ou celles afférentes à l’éthique, à l’équité ou à l’État de droit? Les technologies de l’information et de la communication modifient-t-elles la conception même du secret? Les pratiques culturelles dans un monde cosmopolite ont-elles une incidence sur les configurations du secret? Voilà quelques unes des questions qui ont été abordées lors de ce cycle de conférences.

Le droit est, en fait, pénétré du secret, puisque sa matrice, l’État, est elle-même fondée sur celui-ci[4]. Le secret prend alors la forme de la Raison d’État. La maxime attribuée à Louis XI surgit à l’esprit: «Qui ne sait pas dissimuler ne sait pas régner». En effet, «les mystères de l’État masquent au commun des mortels des pratiques qu’ils ne peuvent concevoir»[5]. Ernst H. Kantorowicz rappelle cet incident, sous le règne de James 1er, par lequel le souverain s’est trouvé à désavouer les théories politiques exprimées dans «un petit dictionnaire juridique» d’un certain Dr. Cowell portant sur la fonction royale qui, pourtant, n’étaient pas pour lui déplaire:

Dans une proclamation de1610, Jacques 1er se plaint de ce que plus rien ‘n’est maintenant épargné par la recherche’, ni les «plus grands mystères de la Divinité», ni «les mystères les plus profonds tenant à la personne ou à l’état de Roi et de Princes qui sont des Dieux sur terre», et que des hommes incompétents «puissent librement patauger avec leurs écrits dans les plus profonds mystères de la monarchie et du gouvernement politique». À d’autres occasions, Jacques 1er parle de «mes Prérogatives ou mystères de l’État», du «mystère du pouvoir du Roi», et de «la révérence mystique qui appartient à ceux qui siègent sur le Trône de Dieu», Il donne encore l’ordre au président de la Chambre des communes «d’informer la Chambre de notre plaisir qu’aucun de ses membres ne se permette de s’immiscer – ‘s’immiscer’ était une expression favorite de l’absolutisme – dans quoi que ce soit concernant notre gouvernement ou les mystères de l’État».[6]

Kantorowicz précise que les mystères de l’État sont une notion «qui provient, de toute évidence, de ce monde que les juristes du XIIe et du XIIIe siècle – Placentin, Azon et les autres – nommaient religio iuris, «Religion du Droit», appelée parfois mysterium Iustitiae dans l’entourage de Frédéric II»[7]. Ces mystères impliquent notamment que l’art du gouvernement est exclusif au souverain et qu’il ne peut être compris par quiconque. Au surplus, «les actions accomplies au nom de ces Mystères de l’État sont valides ipso facto ou ex opere operato, indépendamment de la valeur du roi et de ses valets»[8]. Il s’agit alors pour les juristes médiévaux d’élever la fonction royale afin qu’elle puisse aspirer à un statut mystique aussi puissant que la fonction papale ou religieuse et ainsi asseoir une autorité irréfragable et sempiternelle. Et la sphère du mystère ne peut manquer d’y contribuer, puisqu’elle suppose aussi que le Roi n’est soumis à aucune autorité (hormis celle de Dieu) et qu’il ne peut être jugé par quiconque[9]. On peut ainsi noter que les fondements mêmes de l’État, ainsi que ses justifications, puisent dans un discours écclésiologique qui fait la part belle aux idées de secret, de mystère, de puissance et d’incontestabilité: «ce fut toujours cette lingua mezzo-teologica coutumière chez les juristes qui éleva l’État séculier à la sphère du ‘mystère’»[10]. L’État émergent module son action et ses formes sur celle du premier État moderne, l’Église. Cette confusion des genres assure la légitimité de l’autorité royale en la parant des atours du religieux.

Au XVIe siècle, cette confusion s’estompe dans une atmosphère de scandale politico-moral avec les travaux de Machiavel[11]. L’action du prince n’est pas toujours mue par des considérations chrétiennes de miséricorde et de partage. Mais, le secret demeure. Cinq cents ans après la rédaction du «Prince» de Machiavel et dans le climat des révélations d’Edward Snowden[12] sur les agissements de la National Security Agency (NSA) au nom de la raison d’État, la question de la moralité de l’action du Prince continue à se poser. Pourtant, l’oeuvre de Machiavel révèle le nécessaire «détachement entre les normes morales et religieuses et les comportements ou critères politiques». Un autre auteur de l’époque, Francesco Guicciarnidi, prescrit «une nette séparation méthodologique entre la sphère de l’agir politique et celle de la morale religieuse»[13]. Il y aurait ainsi «une raison d’État et un usage qui en découle et cette raison, cet usage sont différents des règles morales, de la conscience»[14]. Au surplus, la raison d’État instaure une dérogation au droit commun: «la raison d’État est ici conçue comme renvoyant à une loi supérieure à celle qui gouverne ordinairement l’État, parce qu’elle a pour objet la conservation ou la survie de l’État»[15].

Cette réalité d’un pouvoir qui agit en fonction de considérations qui peuvent choquer la morale ou la religion ne doit pas être portée à la connaissance du vulgum pecus et c’est ce que l’on reproche à Machiavel avec la publication du «Prince». Il faut taire la discrépance entre politique et morale (religion)[16]. L’agir politique et ses ressorts doivent rester la chasse gardée du Prince et de ses conseillers, car «l’État de la raison d’État, c’est d’abord un discours d’autorité énonçant une prétention à l’indiscutable au nom du secret»[17]. Le secret apparaît alors comme une composante essentielle de l’État et de son pouvoir et renvoie «à une double idée relative à l’exercice du pouvoir. L’une concerne l’efficacité de la pratique gouvernementale qui est indissociablement liée à la dissimulation (…) L’autre concerne la définition de l’État comme domination»[18].

Le secret ne vise pas simplement à assurer le libre exercice du pouvoir, il se justifie aussi pour cacher la part de violence inhérente à l’État et que la raison d’État absout . L’État doit se défendre contre toute atteinte qui puisse entamer sa puissance ou son prestige: «l’action politique exercée par raison d’État prend en effet souvent la forme d’un usage de la force hors de la légalité»[19]. Le meilleur moyen pour l’État de masquer sa nature violente et de «maintenir sa domination et seigneurie» est de créer du «consensus»: ainsi, «l’ordre, le repos (la quiete), la conservation deviennent la fonction même de l’État». Par conséquent, «l’art de gouverner ne dépend plus, d’abord, de l’habileté du prince, il relève de sciences nouvelles qui s’appliquent à la population, à la géographie physique et humaine, à l’économie»[20]. Ceci n’est pas sans écho avec la biopolitique foucaldienne selon laquelle le pouvoir de mort du souverain sur ses sujets s’est lentement transformé, par inversion, en un «pouvoir qui s’exerce positivement sur la vie, qui entreprend de la gérer, de la majorer, de la multiplier, d’exercer sur elle des contrôles précis et des régulations d’ensemble»[21]. L’intérêt de l’État consiste ainsi à masquer sa propension à la violence par une action sur ses citoyens, qui se veut consensuelle par sa prétention à régler la vie en instaurant des mesures visant l’ordre et la sécurité. Voilà sans doute une raison, parmi bien d’autres, qui fait que l’on confond encore aujourd’hui raison d’État et bien commun (ou intérêt public). Pourtant, l’État ne vise, par cette Raison, qu’à assurer sa prééminence et sa survie: «la question des fins que doit servir l’État est de nulle pertinence, l’État est une fin en soi – ce qui fonde Botero[22] à dire qu’il ne regarde à aucun bien commun (mais à ses propres yeux, bien sûr, le salut de l’État est la figure du bien commun)»[23]. Marcel Gauchet poursuit en affirmant que dans la tradition chrétienne, «le bien-vivre en commun ou le vivre chrétiennement conditionnent l’agencement de la Cité» alors que dans la pensée moderne, «l’ordre devient non pas tant une fin en soi (…) que la condition des fins»[24].

La raison d’État a cédé le pas, dans le vocabulaire politique contemporain, à la notion de sécurité nationale qui n’est bien sûr pas sans lien avec celle-ci[25]. Et la question de la confusion entre l’intérêt de l’État et celui de sa population occupe encore les esprits, puisque la notion de sécurité nationale ne fait l’objet d’aucune définition en droit et qu’elle est souvent le reposoir ou l’alibi de considérations politiciennes qui n’ont rien à voir avec le bien commun[26]. Et, bien entendu, le secret continue d’entourer l’action ayant pour objet d’assurer la sécurité nationale. Cette dernière est une prérogative du souverain, une marque, regalia, de sa souveraineté. Or dire le droit est le premier fondement de la souveraineté, nous rappelle Jean Bodin lorsqu’il écrit que «le point principal de la majesté souveraine et puissance absolue gît principalement à donner loi aux sujets en général sans leur consentement»[27]. Ainsi, l’interprète ne saurait être étonné du goût du secret manifesté par le droit. Alors que le secret semble consubstantiel à l’État[28] (et donc au droit), il a aussi fécondé d’autres champs de l’activité humaine, comme le laisse entrevoir les contributions des participants au présent ouvrage. Le droit, équipé de ce viatique sûr fondé sur les mystères de l’État, contribue ainsi à nimber de secret le marché (secret bancaire, secrets commerciaux) et la société civile (sources des journalistes, vie privée etc). Mais il est traversé d’une tension permanente entre ce goût du secret et les exigences de publicité et de transparence nées avec les Lumières et, aujourd’hui, plus que jamais valorisées par l’idéal démocratique.

La doctrine de la représentation du peuple par des élus a perdu beaucoup de crédit dans le monde contemporain et ne constitue plus aujourd’hui l’unique expression de l’idéal démocratique[29]. Ainsi, l’exigence de transparence apparaît d’autant plus importante qu’elle assure, en principe, par l’information qu’elle procure, la participation des citoyens à la gestion de la Cité et le contrôle, toujours délicat, des représentants. Aujourd’hui, tout le monde parle des affaires de l’État et celles-ci ne sont plus le seul apanage du souverain et de ses clercs. Mais, la tension persiste : «la dialectique de la publicité et du secret qui lui est consubstantielle dessine un théâtre d’affrontements[30]» que l’on serait tenter de qualifier de permanent. La contribution de Suzanne Legault, commissaire à l’information du Canada, illustre bien cette permanence de la tension qui pénètre l’exercice de l’État. Le tribunal de l’opinion publique qui s’affirme dès le XVIIIe siècle, dans le sillage notamment des révolutions américaine et française, participe à cette dialectique[31].

Mais, dans le cadre d’une telle dialectique, la transparence ou, plus simplement, la discussion de la chose publique ne peuvent se manifester sans la présence du secret. Il ne s’agit donc pas de condamner le secret comme s’il s’agissait d’un poison démocratique. Une part de secret s’avère nécessaire pour la bonne marche des affaires publiques. Pour le citoyen, la vie privée, pendant individuel du secret de l’État, commande également une part de secret, une soustraction au regard public et à la transparence au risque de transformer la vie sociale en une vitrine permanente, triste simulacre de l’idéal démocratique. Et il y a ici une confrontation des secrets : l’État, dans la défense de la sécurité nationale et de ses secrets, n’hésite pas à sacrifier le secret de ses citoyens, ainsi que les révélations d’Edward Snowden l’ont amplement démontré. Un équilibre délicat demande à être maintenu entre ces secrets. Pourtant, il est clair, à l’heure actuelle, que cet équilibre est rompu par la prégnance des outils technologiques à la disposition de l’État et des citoyens.

On peut même se demander si le citoyen, technolâtre et ivre d’exhibitionnisme dans un monde de réseaux sociaux, n’est pas lui-même l’architecte de cette rupture. En se livrant sans retenue sur les réseaux sociaux et par le truchement de différents outils mobiles (Snapshot, géolocalisation etc.) et avec la complicité intéressée de grands opérateurs, comme Google, Facebook, Apple etc., le citoyen renonce à cette part d’intimité sans laquelle une société peut sombrer dans une aveuglante transparence où chaque geste, chaque parole, chaque pensée est enregistré, stocké et utilisé à des fins marchandes ou de surveillance. Une telle affirmation aurait parue exagérée avant les révélations de Snowden sur les agissements des États et les complicités avérées des opérateurs d’Internet[32]. Aujourd’hui, nous savons notamment que la National Security Agency entretient l’ambition folle, funeste et liberticide d’enregistrer et de stocker tout le «trafic mondial» d’Internet[33]. Ce déséquilibre des secrets menace clairement la démocratie. Le secret du citoyen est une composante essentielle de son droit à la vie privée, liberté première dans une société-réseau où les technologies font s’estomper la distinction public-privée. De même, s’il faut reconnaître à l’État une capacité réelle d’assurer son essence par une préservation de ses secrets et de son action – la sécurité nationale –, il  convient de rappeler la préémience d’un socle de libertés sans lequel les prétentions démocratiques, fondant le secret et l’action de nos sociétés occidentales, sont des simulacres obscènes, des pantalonnades risibles. La surveillance de masse est, par essence, contraire à l’idéal démocratique.

Ainsi, on peut conclure provisoirement et avant de présenter les contributions de cet ouvrage que le secret est un ingrédient qu’il faut savoir utiliser avec sûreté et pondération dans les rapports juridiques qui se nouent entre l’État, ses citoyens et les personnes morales. On ne saurait privilégier ici une logique binaire où l’un l’emporte clairement sur l’autre, où la présence de l’un signifie fatalement l’absence de l’autre. Un juste équilibre n’emporte pas l’oblitération d’une composante de l’équation, résultat de la monomanie sécuritaire depuis 2001. Il faut plutôt viser un équilibre qui soit judicieux en ce qu’il ménage des espaces croisés au secret et à la transparence. L’un et l’autre apparaissent nécessaires à l’exercice démocratique des sociétés. Tout est affaire de dosage. Et, surtout, de réserve au regard d’une dérive sécuritaire démesurée, voire abusive, qui repose plus sur l’affect que sur une analyse rationnelle des situations à régir et des équilibres démocratiques fondamentaux qui, au bout du compte, la justifient.

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L’article de Pierre-Henri Conac illustre bien la nécessité d’en arriver à un juste dosage entre les exigences de la publicité des sanctions en droit boursier européen et le secret des affaires. Le droit financier n’est couvert qu’en partie par le droit européen, une certaine liberté étant accordée aux États membres. La crise financière de 2008 aura été l’occasion de renforcer «l’harmonisation du droit financier européen» et d’assurer «un renforcement significatif des sanctions». Cet affermissement des sanctions s’explique par des raisons techniques tenant «à l’interconnexion accrue des marchés» puisqu’un «défaut d’application dans un État membre peut avoir des répercussions importantes sur la stabilité et le fonctionnement du système financier d’un autre État membre». Des raisons politiques expliquent aussi cette accentuation des sanctions : «la crise a entraîné, en Europe, comme en Amérique du Nord, une volonté de répression accrue et qui soit également visible». C’est ainsi, nous explique le professeur Conac, que «la proposition de règlement dite ‘Abus de marché’ (…) réalise un alignement du montant des sanctions administratives pécuniaires en matière boursière sur le droit de la concurrence» et «impose la publication automatique des décisions de sanction, sauf exception limitée». L’auteur signale qu’il s’agit là d’une évolution «remarquable car il existe en Europe une tradition hostile à la publication des décisions de sanctions par les autorités de régulation bancaire et financière». Plusieurs facteurs expliquent cette réticence à la publicité des sanctions. Ainsi, on invoque qu’«une sanction secrète est moins contestée en justice qu’une sanction publique». On considère ainsi que la publicité constitue une sanction additionnelle.

On avance également qu’une «publicité des sanctions risque de porter atteinte au respect des secrets d’affaires et de la vie privée». Cette dernière justification peut apparaître étrange puisque le secret des affaires ne saurait protéger des malversations ou des infractions à la loi. Quant au droit à la vie privée, on peut sans doute contester son application stricte aux personnes morales. Il est vrai que dans certains pays scandinaves, les lois relatives aux données personnelles apportent une certaine protection aux données des personnes morales[34]. La justification de cette protection tient au fait que plusieurs personnes morales sont en fait composées d’une seule personne faisant affaires sous une forme incorporée (Mom and Pop shop) et il convient alors de protéger la vie privée de cette personne. Il est loin d’être évident que ce justificatif puisse être invoqué pour des établissements financiers et bancaires.

Par ailleurs, au-delà du cas de la personne morale, on peut se demander si les individus condamnés à des sanctions sont justifiés d’invoquer un droit à la vie privée pour des actes contraires à la loi et ayant fait l’objet d’une sanction administrative. La justice, qu’elle soit administrative ou judiciaire, est, en principe, publique et seul un intérêt public éminent permet qu’on y déroge. L’auteur reconnaît que «la publication est une sanction («naming and shaming»)» et qu’elle ne peut manquer d’affecter «la réputation de la personne ou de l’institution concernée». Cette évolution est positive, note-t-il, puisqu’elle contribue à dissuader les éventuels contrevenants. Elle contribue «également à la qualité du droit». Le professeur Conac affirme que «la possibilité pour l’autorité de régulation de choisir l’anonymat ou de pouvoir renoncer à la publication inciterait (…) les personnes poursuivies à accepter des interprétations contestables du droit». Ainsi, «la raison de la publication n’est pas tant d’imposer une sanction ou d’obtenir un effet dissuasif (naming and shaming), qu’également de protéger le public en l’informant». On en revient ici au principe de la publicité de la justice, dont un justificatif est de contribuer à informer le public de l’état du droit. Cette volonté d’assurer la publicité des sanctions exprimée par le législateur européen «ne fait qu’accompagner une évolution amorcée au sein des États membres». Ainsi, l’Europe accompagne dans ce mouvement des États comme le Danemark, la Belgique ou les Pays-Bas qui ont décidé d’accorder une plus grande publicité aux sanctions. L’auteur dresse ensuite un portrait des conditions formelles du régime de la publication des décisions de sanction (moment et support de la publication, lieu, durée et contenu de la publication etc.). Il conclut qu’il «existe en Europe, tant au niveau des États membres que de l’Union européenne, une tendance très nette vers une publication automatique et nominative des décisions de sanction», qui la rapproche de la situation aux Etats-Unis.

La question du secret des sources pour les journalistes est récurrente dans les démocraties occidentales. Les tribunaux se sont parfois prononcés, mais voilà un champ qui fait la part belle à l’éthique et à la déontologie en raison, notamment, de la grande variété des situations à régir et des réticences de l’État, au Québec et au Canada du moins, à légiférer sur des questions afférentes à la liberté de presse. Le professeur Marc-François Bernier souligne d’ailleurs que «l’utilisation des sources anonymes par les journalistes soulève des interrogations sociologiques et éthiques». La qualité de l’information constitue le justificatif par excellence de la protection des sources. Encore faut-il déterminer ce qu’on entend par là. Les caractéristiques d’une information de qualité sont celles identifiées par les «responsables des salles de réactions quand ils évaluent leurs journaux ou deux des autres», précise l’auteur : «l’exactitude, l’impartialité dans les reportages, les initiatives pour les enquêtes, la présence de journalistes spécialisés, la personnalité des journalistes, l’esprit civique et le style d’écriture». L’information de qualité est aussi celle qui ne confond pas «l’intérêt public et l’intérêt du public». L’auteur établit une distinction entre source anonyme et source confidentielle : «ce n’est qu’une fois que le journaliste a publié des informations obtenues d’une source anonyme que la justice (ou toute autre instance) peut chercher à connaître l’identité de cette source». Ainsi, il peut être proposé «que la source anonyme est en amont, la source confidentielle en aval de la diffusion ou publication». Il présente une définition selon laquelle la source anonyme «est une personne à qui un journaliste attribue des opinions, des prises de position et des informations diverses sans en révéler le nom au public auquel il s’adresse».

Il revient bien entendu au journaliste d’«évaluer» sa source afin de s’assurer que celle-ci ne se joue pas de lui en le rendant «complice de tactiques déloyales, de règlements de compte» et, ainsi, de participer, à son corps défendant, à une entreprise de désinformation. Le journaliste doit alors apprécier les motivations de sa source. S’agit-il d’une source qui cherche «à mousser ses propres réalisations (ego leak)», à «corriger ou dénoncer une sitaution dangereuse ou scandaleuse» (whistle blowing) ou, encore, «à faire du tort à un adversaire» (animus leak)»? Mais, il peut aussi être nécessaire d’identifier les motivations du journaliste lui-même. Quelles sont, en effet, les motivations de ce dernier à utiliser une source? Elles sont certes nombreuses. On peut penser au journaliste qui «cherche à se distinguer de ses collègues» en obtenant des «primeurs ou des scoops». De même, «l’anonymat est un facteur de pure productivité journalistique». Une telle stratégie «permet de boucler rapidement des articles».

En tout état de cause, l’auteur nous invite à nous débarrasser d’un certain «romantisme journalistique» (référence à l’affaire du Watergate et à la source «Deep Throat») et du «mythe de la source honnête et désintéressée». Il souligne qu’en fait, «les sources d’informations anonymes peuvent être aussi être des vecteurs de rumeurs» qui cherchent à «manipuler l’opinion publique», à «l’intoxiquer et à la désinformer». À cet égard, Bernier rappelle que l’intérêt public «n’est pas toujours servi par les sources anonymes», puisque nous savons que ces dernières ont leurs propres motivations qui sont souvent plutôt égoïstes (avancement, désinformation etc.). Le journaliste a donc une forte obligation de vérification et celle-ci «ne se limite pas au contenu de la communication, elle doit aussi viser la source elle-même». L’auteur avance finalement que «la loyauté première du journaliste va à l’intérêt public et que le public n’a pas un intérêt rationnel à être trompé». Ainsi, poursuit-il, «on peut faire valoir que dans le contrat moral intervenu entre le journaliste et sa source, il y a une obligation implicite de vérité de la part de cette dernière». La source qui a menti ou dissimulé des faits importants ne doit pas être protégée. «En somme», conclut Bernier, «la règle qui vise à protéger l’identité d’une source n’est pas aussi absolue qu’on pourrait le croire». On peut noter que la quasi-absence de normes juridiques relatives à cette question est opportune, puisque les cas d’espèce sont si nombreux qu’il serait difficile, voire peut-être dangereux, de vouloir encadrer trop strictement des pratiques et des usages qui fluctuent et dont l’évolution est appelée à s’accélérer dans le contexte des environnements numériques.

Le cyberespace n’est pas seulement un espace de communication, de loisir et de commerce. Il est également un lieu d’affrontements et sa «militarisation» apparaît déjà bien engagée. Klaus-Gerd Giesen aborde dans son texte la question de la cyberguerre. Il précise qu’il abordera la question du secret d’un point de vue philosophique en se fondant sur Immanuel Kant. Ce dernier, nous rappelle le professeur Giesen, «plaide pour la transparence totale, ou la publicité, par opposition précisément aux secrets du droit». Ainsi, d’après Kant, «un acte juridique, quel qu’il soit, n’est moralement valide qu’à la condition qu’il puisse être rendu public – et non pas qu’il soit effectivement rendu public». Il ajoute en citant Kant : «toutes les actions relatives au droit d’autrui, dont la maxime n’est pas compatible avec la publicité, sont injustes». Il est donc clair que pour le philosophe, «le droit public, y compris le droit des gens, n’est droit que dans la mesure où il peut précisément devenir public». Ainsi, «toute zone d’ombre ou secret résiduel le ferait retomber dans l’état de nature, et par conséquent dans le droit du plus fort. La capacité de la publicité est la condition sine qua non du droit». Kant s’oppose alors aux clauses secrètes dans les traités de paix. Il revient à la philosophie du droit «la tâche immense de rendre le droit… public».

Le professeur Giesen affirme que la chose militaire est bien entendu un espace propice au secret. Il s’agit ainsi de «zones de non-droit où règne le secret le plus absolu et, pour employer la terminologie kantienne, l’état de nature». Il note qu’un «tout nouveau champ est en train de brusquement faire irruption sur la scène internationale : le cyberespace». Il existe bien sûr des travaux visant à encadrer juridiquement les usages et pratiques du cyberespace, mais «la cybersécurité militaire de l’État reste, dans une large mesure, secrète et non encadrée par des normes du droit des gens», ce qui apparaît «intenable si l’on adopte une perspective kantienne». Outre les États et leurs armées, une multitude d’acteurs occupent aujourd’hui le cyberespace : les hackers, les réseaux terroristes transnationaux, les cybermercenaires, les multinationales, etc. Ceci n’est pas sans contribuer à «un délitement de la distinction entre temps de guerre et temps de paix» puisque les capacités de nuisance sont distribuées et les menaces «diffuses et secrètes». Après «la terre, la mer, l’air et l’espace extraterrestre, le cyberespace devient la cinquième dimension militaire», un nouveau champ de bataille – une dimension que le droit des conflits armés et le droit de la guerre n’explicitent pas encore, aboutissant à une zone de non-transparence normative». Tout à son approche kantienne, il apparaît urgent, pour l’auteur, de «réguler la cyberguerre». Il se propose alors «d’esquisser une éthique de la cyberguerre, dont pourraient s’inspirer les juristes dans leur production de nouvelles normes».

Cet exercice n’est pas sans écho avec les efforts actuels du Centre d’excellence technique et juridique consacré à la cyberdéfense de l’OTAN, basé à Tallin en Estonie[35]. Ce centre d’excellence réunit des juristes qui réfléchissent à l’application du droit de la guerre (jus in bello) dans le cyberespace : «les juristes tentent aussi de déterminer quels types de contre-mesures seraient légitimes pour faire cesser une attaque, et quels types de contre-attaques seraient jugés excessives ou disproportionnées»[36]. Ces derniers ont d’ailleurs produit un manuel sur le sujet : «The Tallin Manual on the International Law Applicable to Cyber Warfare[37]» qui, bien qu’il ne représente pas officiellement l’opinion de l’OTAN, n’en constitue pas moins une tentative des pays membres de définir et de circonscrire selon leurs termes et entendement les conditions générales de la cyberguerre et de la cybersécurité. L’avantage d’une première expression juridique sur un tel sujet n’est pas négligeable, puisqu’elle oblige tous ceux qui y réfléchissent subséquemment à se déterminer au regard des énoncés premiers. Ainsi, poser les premiers jalons juridiques d’un thème en émergence permet si ce n’est de dominer le débat, du moins de l’orienter singulièrement.

Avant de procéder à des propositions normatives relatives à la cyberguerre, il importe de la  définir. Giesen plaide pour une définition restrictive. Ainsi, il lui apparaît que la cyberguerre «ne peut se dérouler que directement entre deux ou plusieurs États». Il exclut ainsi les «unités territoriales en mal de reconnaissance internationale» (comme la Palestine, la Transnistrie etc.), de même que les groupes terroristes ou criminels, puisque les actions de ces derniers n’entrent pas «dans la catégorie des conflits interétatiques». Il exclut également le cyberespionnage, la cyberpropagande ou même le cybersabotage. L’auteur plaide pour le maintien du «principe de l’agression armée requise pour justifier une entrée en guerre (article 51 de la Charte des Nations Unies)». Une particularité de la cyberguerre «réside dans la possibilité d’un conflit sub rosa, qui surgit lorsque ni l’attaquant ni même l’attaqué ne souhaitent rendre public (…) l’existence d’incidents cyberguerriers» pour plusieurs raisons liées notamment à la crainte de perdre la face en cas de défaite ou à celle de l’opinion publique internationale ou encore pour éviter une escalade. Giesen avance alors que «nous sommes au cœur du problème du secret et de la publicité». Il tente, par la suite, d’élaborer les premiers linéaments d’une théorie de la cyberguerre juste, se fondant, pour ce faire, sur la doctrine de la guerre juste «historiquement issue du droit naturel». Ainsi, une théorie de la cyberguerre juste se heurte notamment au fait qu’une cyberguerre aurait «tendance à ne pas se terminer» alors que pour être juste, la guerre doit connaître une fin. D’autres facteurs, comme la justesse de la cause justifiant la guerre, la proportionnalité entre faute et châtiment ou l’espoir raisonnable de succès qui contribuent à la doctrine de la guerre juste, posent des difficultés dans le contexte du cyberespace. Pour ce qui est des règles du jus in bello, là encore, les caractéristiques particulières de la cyberguerre rendent leur adaptation malaisée. Finalement, le professeur Giesen estime que le cyberespace doit être considéré comme un «bien public mondial» qu’il importe de protéger car il forme «le système nerveux de notre monde globalisé». Cela dit, l’auteur croit qu’«un accord de contrôle des cyberarmements» apparaît «tout à fait illusoire pour la simple raison que la vérification se heurte à des obstacles techniques insurmontables». Demeure alors la «logique de cyberdissuasion» qui ne peut qu’accroître le «niveau de risques dans les sociétés technologiquement les plus avancées». Le droit de la cyberguerre est en plein développement. Les juristes et les philosophes ont intérêt à s’y intéresser rapidement de très près, au risque de laisser la part trop belle aux militaires et autres experts de la sécurité qui sont en train d’en définir les concepts et d’en délimiter les confins.

Le phénomène de la déterritorialisation induit par le cyberespace, qui n’est pas sans majorer le degré de secret des activités s’y déroulant, touche tous les secteurs de l’activité humaine, y compris les flux de capitaux. En fait, le cyberespace a sans doute accentué les flux financiers et contribué ainsi à un emballement de l’activité des paradis fiscaux. Mais le secret qui entoure ces paradis n’est pas le fruit d’une seule action clandestine. Alain Deneault nous rappelle, en effet, que les paradis fiscaux «sont l’œuvre de législateurs complaisants ou conciliants et fonctionnent en vertu de la restriction mentale dont font preuve des juges dans certaines décisions de justice». Il estime que chaque année, de 21 000 à 31 000 milliards de dollars circulent dans les paradis fiscaux. Gabriel Zucman, dans un livre récent[38], précise que 8% du «patrimoine financier mondial des ménages» s’y retrouve, «soit une fortune de 5800 milliards d’euros[39].

Deneault nous donne l’exemple du prix de transfert qui permet aux entreprises de se soustraire à l’impôt national. Ainsi, «le ‘prix de transfert’ consiste pour une entreprise, petite ou grande, premièrement, à créer des filiales dans les paradis fiscaux, deuxièmement, à entretenir avec elles des relations d’affaires comme s’il s’agissait d’entités tierces indépendantes et, troisièmement, à faire en sorte que lesdites transactions soient toujours à l’avantage des filiales offshore de manière à ce qu’il y ait le plus de capitaux, défiscalisés, qui s’y trouvent enregistrés». De cette manière, on peut conduire «des opérations factices avec ses filiales de façon à inscrire dans ses comptes offshore une partie importante des capitaux de la société, afin de les soustraire au fisc dans les pays où l’entreprise a des activités réelles et substantielles». On reconnaît ici le stratagème utilisé, notamment, par les géants de l’Internet, comme Google, Apple, Facebook etc., par lequel ces sociétés paient un impôt dérisoire dans plusieurs pays au regard des activités conduites et des formidables profits générés dans ces pays.

Alain Deneault note que «la moitié des transactions internationales [sont] aujourd’hui intragroupes» et que «plus de 1100 milliards de dollars annuellement concernent de tels transferts de fonds». Le stratagème est patent et laisse songeur au regard du mécontentement de façade affiché par chaque gouvernement lorsque la question de l’offshore est soulevée. Un des moyens de lutter contre ce stratagème est de considérer «l’entité de la multinationale» comme «un tout indivisible plutôt qu’une somme de parties distinctes». Ainsi, «l’impôt devrait porter sur ces comptes consolidés et non structure par structure». Mais, les États semblent peu disposés à corriger cette situation qu’ils dénoncent pourtant à l’occasion des scandales qui défraient la chronique, dont, notamment, les offshoreleaks[40] qui ont mis au jour la mise à l’abri de plusieurs centaines de milliards de dollars dans des paradis fiscaux grâce à la communication à la presse des fichiers d’importantes places offshore. L’auteur remarque que la question s’articule trop souvent autour de l’argumentation juridique (s’agit-il de transferts légaux ou d’évasion fiscale, la distinction étant très ténue), «l’esprit de la loi», alors qu’elle est politique : «les sociétés sont amenées à payer des impôts en fonction de leur lieu d’enregistrement parce que, dans le cadre d’opérations financières, industrielles ou marchandes, elles doivent au cadre public institué la possibilité de leur enrichissement privé». En effet, une entreprise profite des investissements publics dans l’éducation, la santé, la construction et l’entretien des infrastructures (routes, gares, aéroports etc.) ou la sécurité publique sans lesquels il lui serait bien difficile de conduire des affaires et, plus encore, de dégager des profits. Cette responsabilité sociale est trop souvent évacuée au profit d’une conception anationale de l’entreprise et, partant, d’une indifférence complète à l’endroit du bien commun.

Le Canada, nous apprend Deneault, «a fait beaucoup pour favoriser le recours ‘légal’ aux paradis fiscaux». Ainsi, par exemple, le traité signé entre le Canada et la Barbabe afin d’éviter la double imposition illustre cette affirmation. Cette entente de «non double imposition» permet ainsi «aux investisseurs canadiens de rapatrier leurs capitaux au Canada après les y avoir fait transiter sans payer d’impôts, comme s’ils en avaient déjà honoré» à la Barbade. Comme le précise l’auteur, «ces accords sont sensés dans des pays où prévalent des régimes d’impôts dignes de ce nom», ce qui n’est évidemment pas le cas à la Barbabe où le taux d’imposition des sociétés est dérisoire. La vérificatrice générale du Canada a dénoncé en 2002 «les liens de complaisance qui unissent les deux pays».  Mais rien n’y a fait puisqu’en 2012, «les ‘investisseurs’ canadiens ont placé près de soixante milliards de dollars à la Barbade». L’auteur souligne également que le cas barbadien «fait école» puisque «les conservateurs canadiens au pouvoir cherchent à développer depuis 2009 maints corridors de ce type entre le Canada et d’autres paradis fiscaux». Bref, il est clair que la politique anti-évasion fiscale du gouvernement canadien est une lamentable farce.

Les intérêts commerciaux, s’ils se drapent souvent dans le nécessaire secret des affaires, entretiennent moins de considération envers le droit à la vie privée des individus, les secrets de l’intime et du personnel, ainsi que le souligne la contribution de Maria Rosa Llacer Matacas. Il est aujourd’hui de commune renonmmée que les données personnelles constituent une mine d’or pour les différents opérateurs Internet qui les collectent massivement sans grands égards pour le droit à la vie privée. Il est piquant d’observer qu’on présente souvent les politiques industrielles de ces opérateurs comme s’il s’agissait de véritables artefacts sociologiques qui commandent une mutation immédiate du droit. Ainsi, par exemple, les proclamations des uns (Mark Zuckerberg, de Facebook) et des autres (Vint Cerf, de Google) sur la mort de la vie privée dans le cyberspace relèvent plus d’une volonté d’imposer son plan d’affaires aux citoyens que d’une observation affûtée des usages et des pratiques de ces derniers. Des commentateurs sans talent reprennent ces pronunciamientos industriels comme s’ils s’agissaient d’une vérité immédiate, d’un constat sans appel et d’une volonté citoyenne. Il serait pour le moins incongru, pour ne pas dire plus, que les contours d’un droit fondamental soient définis en fonction des intérêts pécuniaires de personnes morales.

L’auteure affirme que «notre sphère d’exclusivité, plutôt qu’un secret, est un domaine qui doit être géré par la personne concernée». Il revient donc à l’individu de gérer ses données personnelles. Sans doute, mais il convient également d’ajouter que le droit à la vie privée est un bien public au sens où sa protection ne se limite pas à celle de l’individu[41]. En effet, la protection du droit à la vie privée profite à la société démocratique dans son ensemble, puisque son oblitération ou son amenuisement ne serait pas sans conséquence sur la liberté d’expression ou la liberté d’association, bref sur l’idéal démocratique lui-même. Une société sans vie privée, donc sans secret, sans intimité et alors transparente ou presque ne peut manquer d’inhiber l’individu qui n’ose alors exprimer une opinion ou s’associer à autrui, puisqu’une action de cette nature est sujette à tous les regards, celui de mon employeur, de mon médecin ou de mes voisins. Cela dit, l’auteure reconnaît la nécessité d’adapter la loi aux contextes numériques. Elle précise que la menace à la vie privée n’est pas seulement le fait des grands opérateurs Internet, même s’il s’agit de la principale menace, elle procède aussi de ces Little Brothers, c’est-à-dire ces «fournisseurs de biens et services en tout genre, présentiels ou virtuels, qui collectent et traitent de manière permanente les données, qui sont capables d’obtenir des profils très précis et actualisés et d’appliquer des décisions en fonction de cette information». L’auteure procède ensuite à une analyse approfondie des clauses contractuelles liant ces Little Brothers aux consommateurs, puisque lesdites clauses sont le «véritable point de départ de l’industrie du marketing, construite sur des bases de données obtenues pratiquement sans contrepartie dont la valeur serait même supérieure à l’exploitation du service qui permet de les obtenir». Dans une contribution très fouillée, l’auteure se penche sur les notions d’autodétermination informationnelle et de consentement. Cette dernière notion est au cœur de la problématique entourant la gestion des informations personnelles. L’obtention de certains services, comme Facebook ou Google notamment, se fonde sur un consentement implicite à la collecte des données personnelles. Si je souhaite ces services, je dois renoncer à certaines dimensions de mon droit à la vie privée. L’auteure analyse ces questions complexes au regard de la législation espagnole et de la réglementation européenne.

L’année 2013, durant laquelle une partie de ce cycle de conférences s’est déroulée, a coïncidé avec le trentième anniversaire de la Loi sur l’accès à l’information[42] du Canada. C’est un anniversaire qui a été ignoré par le gouvernement canadien et très peu relayé dans la presse nationale alors que cette loi est pourtant une composante essentielle du travail journalistique. En 1983, nous rappellent la Commissaire à l’information du Canada Suzanne Legault et Me Diane Therrien, «cette loi se démarquait par son caractère novateur». Le Canada était alors «l’un des rares pays dans le monde» à s’être doté d’une loi d’accès à l’information. Le portrait de l’accès à l’information au niveau fédéral est aujourd’hui beaucoup moins flatteur[43]. Les auteures notent une «érosion progressive du droit d’accès» à l’information. Plusieurs facteurs expliquent cette lente érosion. Tout d’abord, on observe que la loi n’a pas fait l’objet d’une révision sérieuse depuis son adoption. La commissaire remarque que les délais de réponse aux demandes d’accès ne cessent de s’allonger : «le manquement au principe prévoyant la réponse en temps utile est tellement commun que la réponse dans le délai de trente jours de la réception d’une demande devient graduellement l’exception plutôt que la norme». Ainsi, par exemple, le Ministère de la Défense, se fondant sur les exceptions de la loi, a informé un demandeur que la communication de renseignements prendrait 1110 jours, soit près de trois ans! La commissaire observe également que «le champ d’application de la loi n’est pas assez large pour y inclure toute l’administration fédérale». L’expression «institution fédérale» dans la loi n’inclut pas les «cabinets ministériels qui se retrouvent au sein des ministères assujettis à la loi». Ainsi, «les cabinets des ministres sont donc des entités distinctes de leurs ministères». Pourtant, l’activité des cabinets s’est multipliée depuis 1983 et leur exclusion devient difficilement justifiable en ces temps de reddition de compte.

La loi précise, à son article 4, que le droit d’accès a préséance «sur les nombreuses dispositions de confidentialité» que l’on retrouve dans d’autres lois fédérales. Ainsi, le droit d’accès «s’applique nonobstant toute autre loi fédérale». L’énoncé est généreux et prometteur. Pourtant, tel n’est pas le cas. L’article 24 de la loi énonce que «le responsable d’une institution fédérale est tenu de refuser la communication de documents contenant des renseignements dont la communication est restreinte en vertu d’une disposition figurant à l’annexe II». En 1983, on retrouvait trente trois lois dans ladite annexe. Aujourd’hui, «il s’agit d’environ cinquante six lois différentes». On constate que «le nombre de lois qui peuvent primer sur le droit d’accès a donc essentiellement doublé». La commissaire conclut sa contribution en affirmant que la loi fédérale d’accès à l’information «était avant-gardiste au moment de son adoption» dans les années 80, mais elle est «maintenant dépassée sur le plan de l’innovation législative». Si une révision n’est pas entreprise bientôt, il y a fort à craindre que l’érosion du droit d’accès ne s’accélère.

* * *

Cette courte incursion dans les arcanes juridiques du secret montre que le droit encadre tant bien que mal le secret. Alors que l’État ne cesse d’accroître sa part de secret en restreignant le droit d’accès à l’information publique et en multipliant les activités secrètes de collecte d’information ou de cyberguerre, la part du secret du citoyen ne cesse de diminuer en dépit des appels solennels des gouvernants au respect de l’État de droit et de l’idéal démocratique. Sous les effets de la dérive sécuritaire depuis le 11 septembre 2001, la vie privée du citoyen occidental se réduit considérablement alors que les justificatifs à cet amenuisement apparaissent bien minces. D’autant que la sécurité est une sorte de puits sans fond. En effet, pour beaucoup, il n’y a jamais trop de sécurité. On ne saurait être trop en sécurité. Ainsi, «there is no such thing as too much security, there is no internal principle of limitation. It is not clear where it would end»[44]. Tel n’est évidemment pas le sentiment qui entoure le droit à la vie privée. La collecte massive de données personnelles à laquelle se livrent les grands opérateurs d’Internet ne contribue pas à asseoir le droit à la vie privée. Surtout lorsque ces opérateurs collaborent sans grande hésitation avec les services de renseignements. On remarque finalement la formidable liberté laissée aux personnes morales dans la gestion de leurs secrets financiers et fiscaux. Cette liberté est sans doute le reflet de la prééminence accordée aux intérêts commerciaux et financiers dans un monde global. En tout état de cause, on peut se demander s’il existe un lien entre la déperdition du droit des individus à leur vie privée et l’accroissement des mystères de l’État pour employer un terme médiéval qui semble reprendre toute son actualité aujourd’hui. On n’ose croire qu’il s’agit là du prodrome d’une société totalitaire. Il reste que le juriste doit être vigilant et ne pas hésiter à dénoncer ces dérives qui, si elles sont souvent bien intentionnées[45], n’en demeurent pas moins fort dangereuses.

Prof. Karim Benyekhlef ©

 

[1] Dictionnaire historique de la langue française (sous la direction d’Alain REY), Paris, Dictionnaires Le Robert, 2010, p.2063 (sous l’entrée «Secret»). Gérard Vincent, dans son chapitre «Une histoire du secret ?», dans Histoire de la vie privée, propose une définition pas forcément éloignée, mais connotée par la psychanalyse : «Le mot ‘secret’ apparaît au XVe siècle [le Dictionnaire historique, cité ci-haut, évoque plutôt le XIIe siècle], issu du latin secretus, participe passé du verbe irrégulier secerno, qui signifie séparer, mettre à part. Secerno est composé du verbe cerno, cribler, tamiser, et du préfixe se indiquant la séparation. De cerno dérivent discerno, qui a donné discerner (aussi bien le gris du noir que le vrai du faux ou le bien du mal), excerno, dont provient excrément, et secerno, qui a donné en français secrétion et secret. A. Lévy conclut qu’«à l’origine du mot secret, il y a donc l’opération de tamisage du grain, dont le but est de séparer le comestible du non-comestible, le bon du mauvais. L’élément séparateur est un trou, un orifice dont la fonction est de laisser passer ou de retenir en fonction de la conformité ou de la non-conformité de l’objet à l’orifice». Le tamisage constituerait donc «une représentation métaphorique de la fonction anale». Le secret, défini comme un savoir caché à autrui, recèlerait (…) trois sèmes directeurs : le savoir (qui peut inclure des éléments de psychisme – penséees, désirs, sentiments –, des éléments de comportements – intrigue, recette de fabrication –, des objets matériels tels que tiroir, porte, escalier, etc.) ; la dissimulation de ce savoir (refus de la communication, non-dit, silence, mensonge) ; la relation à l’autre qui s’organise à partir de cette dissimulation (ce qui peut générer une fonction de pouvoir sur l’autre : armée secrète, botte secrète, agent secret, dossier secret, etc.)»., Gérard VINCENT, «Une histoire du secret ?», dans Philippe ARIÈS et Georges DUBY (dir.), Histoire de la vie privée. 5- De la Première Guerre mondiale à nos jours, Paris, Éditions du Seuil, 1999, 133, p.156-157.

[2] Dictionnaire historique de la langue française (sous la direction d’Alain REY), Paris, Dictionnaires Le Robert, 2010, p.2063 p.2064.

[3] Alain Dewerpe n’écrit-il pas que dans le champ politique «publicité et occulte (…) sont dans une relation spéculaire.», Alain DEWERPE, Espion. Une anthropologie historique du secret d’État contemporain, Paris, Éditions Gallimard, 1994, p.14.

[4] Au-delà du droit, il faut bien reconnaître que «le secret est inscrit en profondeur dans les sensibilités et les pratiques sociales contemporaines»., Ibid., p.10.

[5] Monique COTTRET, «Raison d’État», dans Lucien BÉLY (dir.), Dictionnaire de l’Ancien Régime (2e éd.), Paris, P.U.F., 2005, 1047, p.1048

[6] Ernst H. KANTOROWICZ, «Mystères de l’État. Un concept absolutiste et ses origines médiévales (bas Moyen Âge)», dans Ernst H. KANTOROWICZ, Mourir pour la patrie et autres textes, Paris, Fayard, 2004, 93, p.99-101.

[7] Ibid., p.103.

[8] Ibid., p.103

[9] Ibid., p.107

[10] Ibid., p.121

[11] Niccolo Machiavel n’emploie pas l’expression «raison d’État» dans ses travaux : «Ce qui importe ici, c’est la chose et non le mot, lequel n’apparaît pas dans ses écrits. Machiavel ne condensa pas ses réflexions sur ce sujet en un seul mot frappant et typique (…) On a regretté par exemple qu’il ne se soit pas prononcé sur ce qu’était véritablement le but dernier de l’État et l’on a en conclu à tort qu’il n’y avait pas réfléchi. Or, (…) il ne vivait que pour cette idée, et toute sa pensée politique s’orienta constamment vers la raison d’État.», Friedrich MEINECKE, L’idée de la raison d’État dans l’histoire des temps modernes, Genève, Droz, 1973, p.34.

[12] L’affaire Snowden a évidemment défrayé considérablement la chronique journalistique. On peut lire parmi une kyrielle d’articles: «Edward Snowden n’a révélé qu’un secret de Polichinelle», Journal Le Monde, 25 juin 2013 ; «Aux Etats-Unis, une cybersurveillance digne d’un État policier», Journal Le Monde, 25 juin 2013. Dans le journal «The Guardian», une section est consacrée à l’affaire Snowden : http://www.theguardian.com/world/edward-snowden (dernière consultation: 1er mars 2014)

[13] Jean-Claude ZANCARINI, «État», dans Michel BLAY (dir.), Grand Dictionnaire de la philosophie, Paris, Larousse-CNRS Éditions, 2003, 381, p.384.

[14] Id.

[15] Yves Charles ZARKA, «Raison d’État», dans Philippe RAYNAUD et Stéphane RIALS (dir.), Dictionnaire de philosophie politique, Paris, Quadrige/P.U.F.,2003, 611, p.612.

[16] «Le terme [raison d’État], donc, est devenu courant entre ‘spécialistes’, mais pas seulement, à en croire bon nombre d’auteurs : les ‘basses personnes’ – auxquelles, dira Chappuy en 1599 (…) ‘on devrait défendre de parler d’un tel sujet’ – en parlent, eux aussi : l’expression vole de bouche en bouche, même ‘dans les boutiques des barbiers et des plus vils artisans’», Jean-Claude ZANCARINI, «État», dans Michel BLAY (dir.), Grand Dictionnaire de la philosophie, Paris, Larousse-CNRS Éditions, 2003, 381, p.384.

[17] Marcel GAUCHET, «L’État au miroir de la raison d’État : La France et la chrétienté», dans Yves Charles ZARKA (dir.), Raison et déraison d’État, Paris, P.U.F., 1994, 193, p.239.

[18] Yves Charles ZARKA, «Raison d’État», dans Philippe RAYNAUD et Stéphane RIALS (dir.), Dictionnaire de philosophie politique, Paris, Quadrige/P.U.F.,2003, 611, p.612.

[19] Id.

[20] Jean-Claude ZANCARINI, «État», dans Michel BLAY (dir.), Grand Dictionnaire de la philosophie, Paris, Larousse-CNRS Éditions, 2003, 381, p.385.

[21] Michel FOUCAULT, La volonté de savoir (Histoire de la sexualité I), Paris, Éditions Gallimard, 1976, p.180. Lire sur ce point : Karim BENYEKHLEF, Une possible histoire de la norme. Les normativités émergentes de la mondialisation, Montréal, Éditions Thémis, 2008, p.59 et s.

[22] Giovanni Botero est un penseur politique italien de la fin du XVIe et du début du XVIIe siècle dont l’ouvrage, Della ragion de Stato (De la raison d’État), est une contribution à la réflexion sur ce thème. Lire l’avis plutôt partagé de Meinecke sur Botero, «cerveau médiocre» : Friedrich MEINECKE, L’idée de la raison d’État dans l’histoire des temps modernes, Genève, Droz, 1973, p.68.

[23] Marcel GAUCHET, «L’État au miroir de la raison d’État : La France et la chrétienté», dans Yves Charles ZARKA (dir.), Raison et déraison d’État, Paris, P.U.F., 1994, 193, p.228.

[24] Ibid., p.229.

[25] Comme le souligne justement Gauchet : «Ce n’en est pas moins toujours en réalité autour de cette tension nourricière entre l’opacité de la conduite de l’État et le déchiffrement de son mystère que continue de se modeler, pour une part non négligeable même si c’est sous une forme apprivoisée, la politique démocratique»., Ibid., p.244.

[26] L’exemple aujourd’hui classique est l’invocation à tout venant de la sécurité nationale pour occulter des intérêts politiques dans l’affaire du Watergate par le président Richard Nixon, lire notamment Robert DALLECK, Partners in Power. Nixon and Kissinger, New York, HarperCollins, 2007, p.457 et p.583. Craig Forcese note qu’une analyse des textes législatifs canadiens faisant usage de l’expression «sécurité nationale», n’avance pas l’interprète dans la recherche d’un sens commun. Il écrit : «This failure of definition produces Canadian statute books replete with a concept whose precise content is extremely amorphous, even when described by the national security experts (…). This ambiguity conveys substantial discretion to the executive branch to define national security as it wills, perhaps not always consistently or properly. The conclusion echoes observations made by other authors, focusing on certain sub-aspects of national security law.», Craig FORCESE, «Through a Glass Darkly : The Role and Review of ‘National Security’ Concepts in Canadian Law», (2006) 43 Alberta L.Rev., parag. 41. Une certaine flexibilité doit bien entendu être attribuée au concept afin de laisser à l’État une réelle marge de manœuvre. Mais cette flexibilité ne doit pas se confondre avec une complète discrétion. Lire les résultats des travaux d’un groupe d’experts ayant tenté de circonscrire le concept de «sécurité nationale» au regard de la liberté d’expression et de l’accès à l’information : The Johannesburg Principles on National Security, Freedom of Expression and Access to Information, UN Doc. E/CN.4/1996/39 (1996). Disponible à : http://www1.umn.edu/humanrts/instree/johannesburg.html    (dernière consultation : 1er mars 2014). Il aurait été utile, pour ne pas dire nécessaire, que le droit à la vie privée soit également l’objet d’une telle déclaration de principe.

[27] Jean BODIN, Les six livres de la République (1576- rééd. de la 10e édition (1593)), Tome 1, Paris, Fayard, 1986, p.8.

[28] «Le secret est donc un moyen de gouverner qui s’appuie sur la domination permise par la dissimulation d’actions décisives, et la manifestation d’une connaissance informulable ou inavouable, qui tire sa force non pas de sa nature, mais de la seule fonction d’occultation qui détermine les croyances et les fictions liées à l’institution politique. Il convient qu’il y ait du secret, même là où il n’y a rien à cacher. Mêlant des domaines d’inspirations variées, le secret d’État se déploie dans les ramifications possibles entre une conception mystique (qualité) et une conception technique (action). Résidu irréductible jouant contre la transparence de l’éthique communicationnelle, il institue en un même temps et en une même stratégie énonciative, une  transcendance, impose une limite au discours et définit une raison politique»., Frédéric GABRIEL, «Secret d’État», dans Michel BLAY (dir.), Grand Dictionnaire de la philosophie, Paris, Larousse-CNRS Éditions, 2003, 952, p.952-953.

[29] Lire notamment les travaux de Pierre Rosanvallon : P. ROSANVALLON, La contre-démocratie. La politique à l’âge de la défiance, Paris, Éditions du Seuil, 2006 ; La légitimité démocratique. Impartialité, réflexivité, proximité, Paris, Éditions du Seuil, 2008 ; La société des égaux, Paris, Éditions du Seuil, 2011.

[30] Marcel GAUCHET, «L’État au miroir de la raison d’État : La France et la chrétienté», dans Yves Charles ZARKA (dir.), Raison et déraison d’État, Paris, P.U.F., 1994, 193, p.243. Lire au même effet Gérald SFEZ, Les doctrines de la raison d’État, Paris, Armand Colin, 2000, p.142-143 : «Le pouvoir d’Etat, en sa consistance secrète même, suscite son contre-pouvoir, l’espace  public (…). L’État ouvre lui-même un espace public de polémique et que cette publicité pour ou/et contre le secret fait partie de la consistance de l’État. Avec le nom et le renom de la « raison d’État » s’établit une dialectique de l’État (et sa mise au secret) et du Public (et sa mise en débat).»

[31] Sur l’opinion publique, lire les travaux importants de Jürgen HABERMAS, L’espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Paris, Payot, 1988.

[32] Sur cette question, lire notamment Karim BENYEKHLEF et Esther MITJANS (dir.), Circulation internationale de l’information et sécurité, Montréal, Éditions Thémis, 2012. Les contributions de cet ouvrage ont précédé les révélations d’Edward Snowden, mais la lecture de celles-ci démontre bien que les pratiques des États et les complicités des opérateurs Internet étaient pressenties, même s’il était impossible de les prouver.

[33] Il s’agit d’une surveillance de masse qui s’exerce à l’endroit de tous les citoyens sans discrimination, innocents comme potentiellement coupables et, surtout sans l’ombre d’un motif justifiant une telle surveillance.  Lire «Voyage au cœur de la NSA», Philippe Bernard, Le Monde (Section Géo et Politique), 27 août 2013 : «Le centre [de la NSA] doit abriter les calculateurs parmi les plus puissants et rapides du monde, capables de conserver un volume de données équivalent à… plusieurs siècles de l’actuel trafic mondial d’Internet. Bluffdale [nom de la bourgade de l’Utah près de laquelle ce centre sera construit], ce sera non seulement « le disque dur de la NSA, mais aussi son « cloud » et son entrepôt », résume James Bamford, journaliste au magazine Wired (…)». Le journaliste du Monde, Philippe Bernard poursuit: « En juin, Edward Snowden a confirmé et précisé les déclarations d’autres whistleblowers (« lanceurs d’alerte ») : la NSA stocke non seulement les métadonnées (numéro appelé, durée de l’appel…) des abonnés au téléphone américains, mais aussi le contenu des communications internationales sur le Web. Pour continuer de le faire alors qu’Internet connaît une expansion exponentielle, le data center de l’Utah sera doté de capacités de stockage inédites, mesurées en yottabites (10 puissance 24 bits), selon James Bamford, le journaliste de Wired. Un volume si énorme qu’aucun nom n’existe encore pour désigner une grandeur supérieure (un yottabite équivaut à 1 000 années du trafic mondial sur Internet prévu en 2015, ou à 500 milliards de milliards de pages de textes)».

[34] Karim BENYEKHLEF, La protection de la vie privée dans les échanges internationaux d’informations, Montréal, Éditions Thémis, 1992, p.224 et s.

[35] NATO Cooperative cyberdefence Centre of excellence :  http://www.ccdcoe.org/ (dernière consultation : 1er mars 2014)

[36] «Le droit de la guerre envahit le cyberespace», Yves Eudes, Le Monde du 17 décembre 2013.

[37] Voir : http://ccdcoe.org/249.html (dernière consultation: 1er mars 2014)

[38] Gabriel ZUCMAN, La richesse cachée des nations. Enquête sur les paradis fiscaux, Paris, La République des idées- Le Seuil, 2013. Lire aussi : Alain DENEAULT, Offshore. Paradis fiscaux et souveraineté criminelle, Montréal, La Fabrique Éditions et Éccosociété, 2010.

[39] «Paradis fiscaux : tout reste à faire», Anne Michel, Le Monde du 7 novembre 2013. Lire supra Zucman, p.44 et s.

[40] Voir : http://offshoreleaks.icij.org/ (dernière consultation : 1er mars 2014)

[41] Lire l’opinion du juge LaForest dans Edwards c. La Reine, [1996] 1 R.C.S. 128, paragraphe 59.

[42] L.R.C. 1985, c. A-1.

[43] Le Center for Law and Democracy, organisme sans but lucratif établi à Halifax, a établi un palmarès des États notant l’effectivité du droit d’accès à l’information des lois nationales. En septembre 2013, ce palmarès plaçait le Canada au 56e rang (sur 95 pays notés), juste après la Mongolie et la Roumanie. Voir : http://www.law-democracy.org/live/wp-content/uploads/2012/08/Nov-2013-Chart2.pdf (dernière consultation: 1er mars 2014).

[44] S.J. COLLIER, A. LAKOFF et P. RABINOW, «Biosecurity : Towards an Anthropology of the Contemporary», (2004) 20 Anthropology Today 3, p.7.

[45] Cette citation du juge Louis Brandeis de la Cour suprême des Etats-Unis ne manque pas de se rappeler à nous : «Experience should teach us to be most on our guard to protect liberty when the Government’s purposes are beneficent. Men born to freedom are naturally alert to repel invasion of their liberty by evil-minded rulers. The greatest dangers to liberty lurk in insidious encroachment by men of zeal, well meaning but without understanding»., Olmstead c. United States, (1928) 277 U.S. 438, p.479.

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